Groupe de Recherches Anglo-Américaines de Tours
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Book Review Editor: Molly O'Brien Castro

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(Literature, Civilization, Cultural Studies, Gender Studies, Linguistics)
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GRAAT: Getting to the bone
A peer-reviewed journal of Anglophone Studies

 

Thibaut Clément, Plus vrais que nature : Les parcs Disney, ou L’usage de la fiction dans l’espace et le paysage (Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 2016). 22.32 euros, 285 pages, ISBN : 978-2-87854-682-8—Charles JOSEPH, Université Rennes 2.

Il est fait mention d’entrée que cet ouvrage est le résultat de la publication de la thèse de doctorat de Thibaut Clément, thèse soutenue en 2011 sous la direction de Divina Frau-Meigs. Comme il peut souvent être le cas dans un remaniement comme celui-ci, il semble par moments qu’une révision plus poussée du format thèse vers la monographie aurait facilité la lecture de cet ouvrage qui n’en reste pas moins dense et passionnant. Le travail que propose ici Thibaut Clément s’ancre à raison dans une approche clairement transdisciplinaire, posture bienvenue avec un sujet tel que celui auquel il s’attaque ici. Il s’agit dans cet ouvrage de « comprendre les parcs au prisme des théories du récit et de la cognition », démarche ambitieuse mais tout à fait novatrice. Le titre du livre aurait cependant bénéficié d’une précision géographique. En effet, l’analyse qu’entreprend Thibaut Clément prend appui sur trois catégories principales de données. D’une part le discours des « imachineurs, » qui ne sont autres que les concepteurs des attractions proposées dans l’enceinte des parcs et de la narration qui les entoure, d’autre part un échantillon « d’attractions jugées emblématiques » pour l’auteur, et enfin un corpus de témoignages et d’observations ethnographiques de visiteurs et employés du parcs. La mention qu’il aurait été bon de faire apparaitre en titre de l’ouvrage, est que cette étude se circonscrit exclusivement aux parcs américains et à leurs usagers et concepteurs. Disney et ses parcs se sont exportés autour du globe (Tokyo Disney Resort - 1983, Disneyland Paris - 1992, Hong Kong Disneyland Resort - 2005, Shanghai Disney Resort - 2016), et la perspective ethnographique voulue par Thibaut Clément propose des conclusions qui ne prennent pas en compte un parcours du parc en dehors du sol américain. Cependant, une fois le deuil fait d’une approche plus comparatiste des stratégies de développement adoptées par Disney à l’international, la lecture de cette monographie apporte une approche des parcs Disney convaincante qui intéressera tout civilisationniste de l’aire anglophone. L’ouvrage se décompose en deux grandes parties. La première intitulée « La mise en récit de l’espace du parc : procédés et discours des imachineurs » comprend les chapitres 1, 2 et 3. La seconde intitulée « Usages sociaux et cognitifs de l’espace narratif du parc » comprend elle les chapitres 4, 5, 6 et 7.

La première moitié de l’analyse proposée par Thibaut Clément nous donne à lire les différentes étapes menant selon lui à la mise en récit de l’espace du parc Disney, partie dans laquelle il prend appui sur les stratégies et discours produits par les imachineurs des attractions. Le premier chapitre s’articule autour de la façon dont l’environnement fictionnel du parc s’ancre irrémédiablement comme un paysage tout d’abord mental. Les notions d’espace diégétique et de réalité accrue tiennent un rôle clé dans cette entrée en matière et la partie sur le thème comme « intertexte fictionnel » est particulièrement intéressante. Le second chapitre explore de façon plus balisée le parcours de l’espace du parc comme parcours avant tout narratif. Ce faisant, il y est question d’espace immersif et de voyage fictionnel, y faisant figurer les étapes essentielles qui s’y décomposent. L’auteur inclus, à cet effet, plusieurs schémas visant à expliciter le parcours spatial/narratif des attractions clés sur lesquelles il choisit de travailler qui sont particulièrement éclairant. Enfin le troisième et dernier chapitre de cette première partie s’intéresse aux motivations et stratégies qui se cachent derrière la mise en récit du parc, oscillant entre « projet d’intéressement et d’engagement ». Thibaut Clément s’attaque alors à l’aspect systématisé du parc tant sur les valeurs que le sens et le métarécit que le parc ré-génère (ou dé-génère) ainsi que les nombreux liens entre parcours narratif et parcours moral, interrogeant une éventuelle superposition de ces deux derniers.

La seconde moitié de l’ouvrage explore le pendant du parcours voulu par les concepteurs et s’attache à analyser l’usage qui est fait de cet espace balisé à la narrativité bien ficelée. Le quatrième chapitre s’articule autour d’une définition du cogniticien Edwin Hutchins, celle des environnements de pensée, et l’approche transdisciplinaire de Thibaut Clément prend ici une place particulièrement importante. L’auteur argumente alors que si l’espace du parc est dépositaire de connaissances et/ou de valeurs, la mise en récit de ce même espace devient alors un « artefact cognitif » dont les visites ou « parcours assistés » permettent au visiteur son éventuelle (voire probable) inscription dans l’univers fictif qui y est proposé. Le cinquième chapitre interroge l’espace du parc en tant que cadre de jeu. Ce faisant, Thibaut Clément poursuit son incursion vers des champs de recherches en sciences sociales en ayant recours notamment à la sociologie avec Ann Swidler ou l’ethnométhodologie telle qu’Andrew Garfinkel la définit. La notion de jeu (et son rôle social) reste néanmoins centrale dans ce chapitre qui, logiquement, questionne les règles régissant ce dernier. L’auteur interroge les possibles transgressions de ces règles définies au travers des figures du visiteur et de l’employé du parc. Le sixième chapitre poursuit sur la notion de jeu et questionne alors le jeu de rôle et son aspect performatif dans l’enceinte du parc. Thibaut Clément y adjoint alors une composante cruciale du fonctionnement du parc, celle de l’émotion que l’auteur perçoit, chez le visiteur, à la fois comme performance mais aussi comme spectacle. Thibaut Clément va cependant plus loin en interrogeant cette même dimension émotive chez les employés du parc et la façon dont l’entreprise capitalise sans retenue sur cette composante relevant pourtant de l’intime, jusque dans ses stratégies managériales. La définition des employés comme « travailleurs de l’émotion » constitue une partie fascinante de cet ouvrage. Enfin le septième et dernier chapitre s’articule autour du triptyque notionnel « récit, inscription et enrôlement » et interroge comment Disney a fait du récit en 3 actes une véritable recette industrielle transposable à loisir. Si l’auteur poursuit sa réflexion dans ce dernier chapitre, lorsqu’il aborde les « définitions concurrentes du récit et de son bon usage » il devient perceptible qu’il amorce d’ores et déjà certaines conclusions au sein de cette deuxième partie. L’étude de cas de l’attraction Jungle Cruise et de sa refonte narrative venant conclure ce dernier chapitre abonde en ce sens.

Les pages de conclusion de l’ouvrage affirment bel et bien que Disney est désormais devenu un véritable processus, qu’il s’agisse de « logiques de disneyisation » ou d’espace ou utopisme « disneyien ». Plus que de satisfaire pleinement une lecture assidue, ces différentes conclusions proposées par Thibaut Clément font plus office d’ouvertures que de fermetures. Si cette stratégie est tout à l’honneur de l’auteur qui démontre ici avec brio le pan manifeste des recherches qu’il reste à faire au sujet de Disney, elle peut aussi nous laisser une sensation d’inachevé. Non que l’ouvrage soit insuffisant dans ses propositions et son analyse, mais les perspectives données à voir dans ces remarques finales sont telles qu’on ne peut s’empêcher de s’y projeter après lecture de ce qui fait ici office de référence en la matière. À la lecture des dernières pages de ce travail, nous avons surtout envie de prendre contact avec l’auteur afin de savoir quelle direction prennent aujourd’hui ses recherches et comment le modèle d’appréhension des parcs tel qu’il l’a développé dans cette monographie se porte au regard de ces acceptions internationales et ses stratégies d’incorporation de nouvelles franchises comme Star Wars ou les héros Marvel.

Plusieurs annexes viennent enrichir la fin de l’ouvrage [223-263]. Nous y trouvons d’abord un historique des parcs, puis les notices biographiques de quelques imachineurs. Une brève généalogie du département Walt Disney Imagineering, Une liste complète des attractions par parc américain, ainsi qu’un historique complet de la Walt Disney Company viennent compléter ces annexes. Index, table des matières et bibliographie viennent clore l’ouvrage. Cette dernière, au demeurant très claire, aurait pu être enrichie de références supplémentaires, notamment en géographie. Bien que l’auteur ne fasse pas grand cas des lignes de fuite de la structure urbanistique Disney dans le corps de son texte, certaines références qui y sont présentes comme Louis Marin et Utopiques : Jeux d’espace, Jean Baudrillard avec Simulacres et Simulation ou encore Michael Sorkin avec Variations on a Theme Park laissent cependant entendre que ces préoccupations n’en demeurent pas moins une partie importante de sa réflexion. Nous pouvons alors regretter qu’une place plus importante n’ait pas été accordée au géographe américain Edward Soja et à la géographie postmoderne dont il est l’un des principaux auteurs / concepteurs, mais aussi au travail de la géographe française Sophie Didier. Quoi qu’il en soit, Plus vrais que nature engage un dialogue tout à fait pertinent et complémentaire avec ces deux références que l’on distingue en filigrane, et Thibaut Clément propose une monographie à la fois riche et novatrice dont les perspectives à venir sont tout aussi prometteuses que le contenu de ce premier ouvrage.

© 2017 Charles Joseph & GRAAT On-Line

 

 

 

 


 


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Senior sub-editor: Hélène Tison
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